Réflexions à propos des activités de production en FLE
Une question revient fréquemment : « Faut-il demander aux apprenants de produire en premier ou leur montrer d’abord ce que ChatGPT peut proposer ? » Cette question n’est pas anodine car elle touche non seulement aux mécanismes cognitifs de l’apprentissage [1], mais aussi à une compétence essentielle en didactique des langues : la médiation.
Comment un apprenant peut-il se positionner entre ses propres compétences, l’aide que fournit une IA et la reformulation ou transmission du savoir qui en découle ?
Pourquoi plutôt demander aux apprenants eux-mêmes de produire les premiers ?
En production, il est fondamental de favoriser l’effort de formulation personnelle. Cela permet à l’apprenant :
– d’activer ses acquis linguistiques et discursifs,
– de faire émerger ses représentations de la langue,
– de construire son autonomie expressive.
Produire par soi-même, c’est aussi exercer sa capacité à médier ses pensées, même maladroitement, en langue cible.
C’est seulement après cet effort que l’enseignant peut introduire ChatGPT comme outil d’appui, pour engager une activité de médiation où l’apprenant va :
– comparer,
– enrichir,
– reformuler,
– adapter.
Pourquoi parfois partir de ChatGPT ?
Il arrive toutefois que certains types de production soient hors de portée immédiate sans modèle préalable : discours public, courrier officiel, synthèse complexe... Dans ces cas, ChatGPT peut servir d’amorce ou de tremplin, à condition que son utilisation ne fige pas l’activité.
L’enseignant doit alors proposer une approche qui transforme la posture de l’apprenant :
– de récepteur passif d’une proposition faite par l’IA,
– à médiateur actif, qui retravaille, reformule, ajuste.
Cela correspond aussi à la définition de la médiation dans le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECR) [2] : l’apprenant agit comme un intermédiaire entre un texte, une idée et un public cible.
Comment organiser cela dans une séquence de production ?
Voici un modèle d’organisation pédagogique en trois temps, articulant production, médiation et recours à l’IA.
Phase 1 : Production personnelle
– L’apprenant rédige ou prend la parole sans assistance de ChatGPT.
– On lui fournit éventuellement un plan, des questions guides, des ressources lexicales et grammaticales.
Cela permet à l’enseignant de diagnostiquer les forces et faiblesses linguistiques, mais aussi les compétences de structuration du discours.
Phase 2 : Confrontation et médiation à partir de ChatGPT
L’enseignant soumet ensuite une production générée par ChatGPT à la même consigne. Les apprenants sont invités à :
– Comparer leur production avec celle de l’IA,
– Repérer les formulations maladroites ou littérales de ChatGPT, par exemple : « Je suis en train d’attendre mon ami » → « J’attends mon ami », « Je suis intéressé à apprendre le français » → « Je voudrais apprendre le français » [3].
– Franciser les formulations, c’est-à-dire les adapter à un usage authentique et naturel.
– Enrichir le texte généré par des références culturelles, nuances de registre, connecteurs logiques plus diversifiés.
– Changer de registre ou de genre : par exemple, transformer un texte formel en sa version orale ou familière.
– Médiatiser le texte : le reformuler pour un autre public, le simplifier pour des débutants, ou le densifier pour des experts.
Cette phase transforme l’IA en ressource critique, pas en substitut.
Phase 3 : Reproduction, transformation, transfert
Les apprenants sont alors invités à :
– réécrire leur texte initial,
– ou en produire un nouveau en changeant de : registre, genre, public cible.
Voilà (enfin !) des idées faciles de mise en œuvre de l’application de modèles ethnographiques comme celui de « notre cher Hymes » [4] à l’analyse de situations de communication.
Les apprenants peuvent également effectuer une autoévaluation : « Qu’ai-je appris de la confrontation avec ChatGPT ? Quels choix ai-je faits pour reformuler ? » Ce travail favorise la métacognition, essentielle pour que l’apprenant devienne conscient de ses propres stratégies de production et de médiation.
Et pour des apprenants de niveau A2 ?
Ce dispositif est parfaitement transposable à un public A2 par exemple, à condition d’adapter les consignes et les supports.
Pour A2, on peut proposer :
– Des tâches simples : écrire un message sur les réseaux ou une carte, décrire un événement personnel.
– Une phase 1 très guidée : avec un plan clair en 3 étapes.
– Une phase 2 où ChatGPT sert de modèle, que les apprenants simplifient, personnalisent ou adaptent à leur vécu.
Exemple :
Consigne : « Écris un message pour inviter un ami au cinéma samedi prochain. »
1. Production libre par l’apprenant.
2. Production de ChatGPT à comparer.
3. Reformulation personnelle et adaptation à une autre activité (aller au musée, pique-nique, etc.).
L’objectif reste de :
– faire produire,
– faire réfléchir sur la langue,
– développer la capacité à médiatiser une information, en l’adaptant à soi et à son interlocuteur.
Conclusion
En production FLE, la priorité doit rester l’activité propre de l’apprenant : produire, se tromper, chercher. L’IA devient alors un outil de médiation, un partenaire critique qui permet de comparer, ajuster, améliorer, transférer.
Ce n’est pas ChatGPT ou les apprenants : c’est ChatGPT avec les apprenants, mais toujours dans une démarche pédagogique construite et orientée vers l’autonomie… même à partir du niveau A2 !