D’abord, ce malaise devant l’uniformité : mêmes supports, mêmes séquences, mêmes attentes, peu importe les étudiants, les élèves, les classes, les écoles. Puis ce doute lancinant : et si, malgré tous nos efforts, on formait juste des étudiants à réussir des tests… sans vraiment savoir utiliser la langue dans la vraie vie ?
Enseigner ? Oui,mais pour apprendre
J’ai commencé à enseigner autrement non pas par goût de l’originalité, mais par fidélité à une exigence simple : faire en sorte que les élèves et étudiants apprennent vraiment. Cela m’a conduit à explorer d’autres chemins :
– La mise en projet, pour que l’apprenant (élève ou étudiant) ne travaille pas pour le prof, mais pour une tâche concrète.
– La classe inversée, pour déplacer le centre de gravité du savoir et valoriser le travail en amont.
– L’évaluation formative, pour qu’elle cesse d’être un couperet et devienne un levier.
– Et plus récemment, l’usage raisonné des outils numériques et de l’intelligence artificielle, pour accompagner sans déshumaniser.
Ce n’est pas plus facile. C’est plus vivant.
On pourrait croire qu’enseigner autrement, c’est plus simple. Ce n’est pas le cas. C’est même souvent plus complexe, plus exigeant :
– Il faut accepter une part d’imprévu.
– Il faut renoncer à tout contrôler.
– Il faut se remettre en question… souvent.
Mais c’est aussi plus vivant. Une classe ou un groupe d’étudiants qui coconstruit une séquence autour d’un projet réel (créer un podcast, interviewer des francophones, écrire une lettre ouverte) apprend bien plus que du vocabulaire. Il ou elle apprend à collaborer, à s’auto-réguler, à communiquer avec un objectif. Et c’est cela, au fond, que je cherche.
Ce que j’ai appris en changeant ma manière d’enseigner
Changer ma manière d’enseigner m’a appris une chose essentielle : on ne forme pas un étudiant ou un élève, on l’accompagne dans la construction de ses propres outils. Et pour cela, il faut :
– l’écouter.
– lui faire confiance.
– lui donner des moyens d’agir.
Cela suppose parfois de lâcher un peu de terrain. Mais ce que l’on perd en verticalité, on le gagne en profondeur. Car le savoir qui a été conquis, même partiellement, est bien plus solide que celui qu’on a seulement reçu, même complètement.
Pourquoi je continue
Aujourd’hui, même après des dizaines d’années d’enseignement, je continue. Je continue parce que je crois que ce métier mérite d’être réinventé sans cesse.
Je continue pour ceux et celles qui arrivent, les jeunes professeurs, souvent brillants mais noyés sous les injonctions contradictoires.
Je continue parce que l’école et l’université, les vraies, ne sont pas des lieux de conformité mais des espaces de possibles. Et dans un monde saturé d’outils, de bruit, d’accélération, il est plus que jamais nécessaire d’enseigner à apprendre.